Une personne ayant vécu un abus sexuel pendant l’enfance peut-elle guérir?

Une personne ayant vécu un abus sexuel pendant l’enfance peut-elle guérir?

Une des questions le plus fréquemment posées à l’expert en abus sexuel est la suivante: en guérit-on?

Dans la prise de position qui suit, je m’adresse à cette question en restant aussi proche que possible de ce que les données probantes dans ce domaine nous apprennent.

 

Une personne ayant vécu un abus sexuel pendant l’enfance peut-elle guérir?

Hubert Van Gijseghem, Ph.D.

 

Un abus sexuel vécu au cours de l’enfance prédispose certainement la victime à développer plus tard des difficultés de tout genre. Des études montrent que dans la plupart des groupes cliniques, c’est-à-dire des échantillons de personnes présentant des symptômes physiques, psychologiques ou comportementaux, on compte un nombre significativement plus élevé d’individus abusés sexuellement durant leur enfance que dans les groupes témoins dont les sujets ont été puisés dans la population générale. Pourtant, et il s’agit là d’une donnée rassurante, il n’est pas établi que les victimes développeront nécessairement des symptômes. En effet, dans les études rétrospectives, la moitié des adultes interrogés qui déclarent avoir été abusés au cours de l’enfance prétendent « s’en être bien sortis » ; autrement dit, ils n’ont pas conscience de porter des séquelles. Les résultats de ces recherches indiquent aussi que l’absence d’une symptomatologie n’est pas nécessairement associée aux caractéristiques de l’abus lui-même ou à ses suites (sévérité, fréquence, dévoilement, processus judiciaire, thérapie, etc.). Il semble donc que bon nombre de victimes aient bénéficié de conditions favorables à une évolution malgré tout positive. Il y a probablement lieu d’émettre également l’hypothèse que certains enfants, au départ, sont plus résilients que d’autres de sorte que, si un incident, tel un abus sexuel, se produit, ils peuvent plus facilement assimiler ou surmonter la chose que d’autres enfants.

 

            En somme, il existe des processus d’autoréparation ou d’auto-guérison tout comme d’autres cas nécessitent une aide, un soutien, une thérapie. Ce qu’on doit retenir de la recherche et des indices cliniques, c’est qu’il n’y a pas de panacée. On doit plutôt procéder cas par cas, c’est-à-dire, mener une évaluation minutieuse des besoins spécifiques de chaque victime pour établir les moyens de sa guérison puisque la réparation emprunte des voies particulières d’une victime à l’autre. Rappelons que le fait d’être abusé sexuellement n’est pas un « diagnostic » en soi ni une maladie circonscrite comme le serait, par exemple, un diabète. Par conséquent, la victime ne doit pas se considérer ni être considérée comme une personne malade et, par ricochet, on doit admettre qu’il n’y a pas de remède typique.

 

            Au cours des dernières décennies, on a remarqué que les intervenants dans ce domaine ont malencontreusement pratiqué une sorte d’acharnement thérapeutique. Dès qu’on soupçonnait le problème, on s’empressait d’embrigader la victime dans une thérapie dite spécialisée. Cette réaction a donné lieu à une foule de dérapages dans plusieurs pays. Nombre de victimes s’en sont en effet trouvées stigmatisées et ont conservé leur étiquette de « victimes » jusqu’à la fin de leurs jours. Aux États-Unis, entre autres, les ex-victimes sont collectivement appelées des «survivants », comme si elles avaient échappé par miracle à un cataclysme. Parmi ces personnes ainsi embrigadées dans des programmes thérapeutiques institutionnalisés, un bon nombre aurait davantage profité qu’on les aide à continuer leur vie quitte à tourner la page sur des événements qui n’auraient pas dû avoir lieu. Car il est faux de croire, comme le laissent entendre certaines approches thérapeutiques basées sur une «dictature du parler», qu’il faille répéter le récit des événements jusqu’à la nausée pour exorciser les traumas et en exciser les séquelles.

 

            Pour les raisons évoquées précédemment, les thérapies  de groupe pourraient se révéler contreproductives dans la mesure où les participants sont tenus pour un groupe homogène. D’ailleurs, répétons-le, rien n’oblige une victime d’abus sexuel à se prévaloir d’une thérapie, et quand une victime choisit cette voie, l’aide individualisée gagne à ne pas mettre l’accent sur les événements traumatisants eux-mêmes. D’autres victimes atteindront néanmoins une meilleure réparation en se taisant, en déployant leur créativité, en accomplissant leurs projets et en affirmant l’intégrité de leur identité et de leur santé mentale et physique. 

 

            Le message fondamental que comporte ces quelques paragraphes pourrait se résumer comme suit : si grave et délétère que soit l’abus sexuel, les victimes elles-mêmes et leurs personnes-soutiens auraient tort de le considérer d’un œil fataliste. Il s’agit d’un accident sérieux dans le développement d’une personne comme il peut en exister plusieurs autres. On sait, cependant, que les personnes guérissent de leurs blessures, transcendent leurs deuils grâce souvent à une aide appropriée mais également grâce à leurs ressources intrinsèques.